Napalm girl de Nick Ut : Reporter de guerre
Naphtalène et Palmitate pour la chimie organique. En associant les premières syllabes de chaque composant on obtient le napalm. Harvard, 1942 il vient d’être inventé. Une convention des nations Unies en 1980 interdira son usage. 40 ans d’utilisation à l’origine d’atroces souffrances que cette image illustre et pourtant, on ne le voit pas réellement mais il est tellement présent. Une photo symbole de la folie humaine, de l’indicible si forte émotionnellement qu’elle place le spectateur dans l’obligation de se positionner.
« Maintenant que vous savez, vous ne pourrez rester inactifs »
Et c’est effectivement ce qu’il s’est passé pendant 45 ans où l’humanisme, l’amour ont été au centre d’une longue chaine de solidarité, plus souvent masculine, qui trouve un dénouement récent avec la parution d’un article médical décrivant les derniers soins visant à « réduire » cette atrocité. Le clin d’œil est que c’est une équipe américaine qui a œuvré et publié cet article !
En NetB on y voit 5 enfants terrorisés (dont une petite fille nue au centre), courir devant une rangée de militaires. Ils sont sur une route qui nous mène, loin derrière les militaires, vers une zone enfumée qui occulte une bonne partie du ciel. Nous sommes le 8 juin 1972 à Trang Bang quelques kilomètres au nord de Saigon.
Sur la base de renseignements erronés les sud vietnamiens viennent de bombarder au napalm une pagode où se refugiaient des civils… Des journalistes avaient été invités pour assister à cette « victoire ». Nick Ut membre de l’AP, 21 ans est l’un d’eux. Il va réaliser le cliché de sa notoriété : Prix World Press en 1972 et Pulitzer en 1973. La petite fille nue se nomme Kim Phuc, elle a 9 ans et a ôté ses vêtements dans l’espoir de stopper les brulures… L’Histoire de cette image iconique, emblématique et de cette jeune fille débute…
Nick Ut, Christopher Wain, Horst Faas, Perry Kretz et le Dr Zeller joueront chacun leur rôle.
Le premier, photographe par hasard pour remplacer son frère décédé quelques années plus tôt shoote une série d’images (8 pellicule Kodak 400 asa) sur place « au bon moment » avec son Leica M équipé d’un 35 mm Summicron. Puis conscient de ce qu’il se passe réconforte la petite fille et l’emmènera à l’hôpital le plus proche dans sa voiture en usant de sa carte professionnelle comme passe droit pour la faire admettre.
Le deuxième, journaliste anglais (auteur de la vidéo) donnera les premiers soins à la jeune fille, la retrouvera mourante dans le premier centre de soin et s’activera à la transférer à la clinique américaine Barsky. Devant un haut fonctionnaire sud vietnamien obtus qui bloquait le dossier il dit :
« « Cette gosse souffre atrocement. Alors prenez ce couteau et rendez-lui service en lui tranchant la gorge. »
Il obtint gain de cause et elle y subira 17 interventions en 14 mois.
Horst Faas est le responsable de l’agence asiatique de l’AP. C’est un grand photojournaliste auréolé de nombreux grands Prix.
Conscient de l’impact de cette image recadrée parmi toutes va « forcer » l’AP à déroger à la règle qui proscrit la nudité sur ses photos. Elle sera publiée le 10 juin en France et seulement le 12 dans le New York Times et le Washington Post (puritanisme américain oblige). Ce cliché sera alors beaucoup utilisé par tous les anti-guerre du Vietnam. Nixon en avala sa cravate et fut persuadé que c’était un montage.
Perry Kretz, journaliste au Stern réalisera un reportage sur la fillette à la sortie de la clinique Barsky. Bouleversé par cette histoire, il fera rechercher la jeune fille en janvier 1983 et obtiendra après plusieurs mois l’autorisation de la faire soigner en Allemagne par le Dc. Zeller.
Kim Phuc quant à elle, a eu une vie rocambolesque. Victime innocente de ce conflit, blessée atrocement, elle souffrira d’une longue et laborieuse guérison. Ses brulures auront bouleversé le monde. Dés 1976 le régime communiste de Saïgon comprend toute la puissance de cette image et utilisera cette jeune femme mutilée pour les besoins de la propagande anticapitaliste, faisant fi de ses souffrances et de ses aspirations à devenir médecin. En 1986 elle finit ses études de pharmacie à Cuba où elle retrouvera Nick (avec qui elle avait gardé des relations) et y rencontrera son mari. 1992 lors de leur voyage de noce en URSS, ils « s’évadent » tous les deux au Canada qui les accueillera et deviendra Ambassadrice de Bonne Volonté de l’UNESCO pour la paix.
8 Juin 2012, quarante ans exactement après ce drame, Kim réunira tous ses sauveurs. Elle dira :
« J’ai longtemps voulu fuir cette petite fille plongée dans le chaos de la guerre du Vietnam. Mais la photo m’a toujours rattrapée. De partout des gens surgissaient en disant : « C’est bien vous ? Quelle horreur ! » » Et j’avais l’impression d’être doublement victime. Et puis j’ai décidé que ce qui m’apparaissait comme une malédiction avait aussi été ma chance. Et qu’il me revenait de choisir le sens à donner à cette photo. » Elle illustrait l’épouvante de la guerre ? « Je deviendrai une ambassadrice de la paix. » Elle montrait la barbarie ? « Je parlerai d’amour et incarnerai le pardon. » Elle évoquait la mort ? « Je montrerai la vie ! Elle ne m’a guère épargnée, mais c’est elle qui triomphe. La tragédie n’a jamais anéanti l’espoir. Des anges gardiens sont sans cesse apparus sur mon chemin. Et c’est bien cela le miracle ! »
Pardon qu’elle accorda complètement au Capitaine à l’origine de ce raid aérien lorsqu’un un jour, elle le rencontra.
2016, l’histoire se poursuit. Face book sous la houlette de son Président décide de retirer l’image sous prétexte de la nudité. Devant le tollé mondial le fameux réseau social reculera finalement. Plus personne ne peut retirer maintenant cette image du monde. Elle fait partie du patrimoine mondial.
Enfin, ce 5 Septembre 2018 une équipe de dermatologue de Floride publie les résultats époustouflants des lasers utilisés sur les blessures de Kim Phuc 45 ans après.
Photo NetB, 5X7 recadrée stockée à l’Associated Press à New York.
La prise de vue est frontale en discrète plongée créant une véritable empathie. La lumière est haute au vu des ombres très courtes mais en même temps comme diffusée tant le flou de ces ombres est important ; nuages ou plus probablement fumée.
Si l’instant est décisif en terme photographique la composition n’est pas en reste voire ultra solide.
Une forte diagonale (des enfants) nous fait entrer dans ce cliché. Les deux chemises blanches nous attirent, unifiant le groupe des enfants qui courent vers le spectateur. Leurs visages, terrifiés pleurant et hurlant de douleur nous témoignent du drame qu’ils viennent de vivre. Ils constituent le premier plan dont le centre est occupé par cette jeune fille nue. La profondeur de champs est maximum, et ce personnage central sans habit en est donc le sujet principal. L’innocence meurtrie. L’attitude, bras écartés presque symétriques quasi en croix est d’une force sans précédent par le coté biblique mais aussi par l’appel à l’aide que le spectateur est obligé d’entendre.
En deuxième plan sur cette route qui nous enfonce dans l’image une ligne de soldats. Celle ci donne un peu de contexte (la guerre). Ces militaires contrastent par leur tenue sombre et leur « relative » nonchalance. Ils ne semblent pas terrorisés eux.
Au troisième plan, une vaste zone de fumée qui révèle le drame : un bombardement. De fait on perçoit que les enfants viennent d’être bombardés. Dans cet amas grisâtre, hors champs s’est produit l’horreur. Et seule notre imagination peut concevoir ce qu’il s’y est passé.
Initialement nommée « Vietnam napalm », le succès de la photo a transformé son nom pour « Napalm girl » qui donne un peu plus de contexte à la situation nous faisant imaginer les brulures.
Fait curieux, l’intensité émotionnelle est si forte que l’on ne prête pas attention à la seule partie humaniste, positive de cette image représentée par cette jeune fille à droite qui guide un petit garçon « relativement serein » en le tenant par la main. L’efficacité de l’innocence responsabilisée, l’efficacité de la solidarité comme si la solitude du personnage central décuplait son traumatisme et obligeait le spectateur…
Rapporteur de guerre, une des branche du photojournalisme : qui peut choisir ce métier ?
« Au début, c’est par goût d’aventure, de défis, de voyage, l’envie de faire carrière… et aussi de faire la différence. Et plus tu es confronté à la souffrance des autres, à l’injustice et à la tragédie, plus les raisons personnelles s’effacent naturellement devant l’envie de témoigner et d’essayer de maintenir le dialogue afin que les choses changent. Si personne ne sait ce qu’il se passe, si tout se fait dans l’ombre, tout peut arriver ». répond James Nachtwey.
Témoin de la mémoire collective certes mais souvent sous couvert d’un des belligérants est ce que le reportage produit est bien le fruit d’une neutralité déontologique ? Ou bien est ce l’usage qu’on en fait qui orientée ? Contrôle, censure, propagande, Napalm girl a subit les trois. Néanmoins l’information est passée. Cependant la révélation journalistique peut mettre en cause la tactique militaire. Ceci explique sans doute les véritables services de communications des armées et le black out total qu’elles peuvent mettre en place.
Porte paroles indépendant ou pas le risque est bien présent. Selon Reporters sans Frontières, 65 journalistes ont été tués en 2017 durant leur exercice professionnel, plus de la moitié l’ont été sciemment. Syrie et Mexique sont les plus meurtriers, ce dernier étant un pays en paix où règne corruption et cartels de la drogue. 326 sont détenus : Chine, Turquie et Syrie représentent le tiercé gagnant et 54 journalistes sont otages en Syrie Irak et Yémen.
Enfin, et c’est toute la beauté de cette histoire, est ce que la neutralité médiatique existe vraiment ? L’engagement physique et philosophique des différents journalistes a dépassé largement le cadre de l’information. Nous a-t-il du coup, orienté ? Est ce que cette « neutralité » existe vraiment d’ailleurs ?
Une histoire bouleversante que ce cliché met en avant, une information choc qui a engagé les acteurs et les spectateurs, qui détient à elle seule le trio de la notoriété : information, composition et émotion. Une image qui appartient au Monde et que ce Monde tente encore de réparer…
Site internet d’un des plus grands reporters de guerre
Rapport 2017 de Reporter sans Frontière
https://rsf.org/fr/bilan-des-journalistes-tues-detenus-otages-et-disparus-dans-le-monde-en-2017
Résumé de l’article dermatologique