Histoire d'une photo

HDP # 12. Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing ? de R. Hamilton : le photomontage.

 

 

Qu’y a-t- il de commun entre O. Rejlander, H. Robinson, J. Heartfield, Man ray,  Richard Hamilton, R. Lichtenstein et A. Warhol ? Même si plus d’un siècle sépare le premier et le dernier, ils sont tous adeptes du photomontage. Il s’agit d’un assemblage de photographies par collage, par tirage, ou par logiciel donnant à une photo un aspect différent, par incorporation d’une ou plusieurs parties ou de la totalité d’une autre photo et permettant toutes retouches et trucages (Wikipedia). Du scrapbooking quoi ! Néanmoins constructivisme, dadaïsme et pop art lui doivent leur apogée.
Parfait,  mais quelle différence alors entre un photomontage et une peinture ? On recrée un univers imaginaire à partir d’éléments sélectionnés, vus ailleurs. Ne perd on pas le coté réel, instantané, de la photo ?… Oui mais il y a une possibilité de s’affranchir de la contrainte du « vrai » pour entrer dans un autre univers immense : la fantasmagorie.
Avec cette image, Richard Hamilton va imposer ce qui sera le pop art. Il le définit comme :
« Populaire, éphémère, jetable, bon marché, produit en masse, jeune, spirituel, sexy, plein d’astuces, enchanteur et qui rapporte gros. (popular, transient, expendable, low-cost, mass-produced, young, witty, sexy, gimmicky, glamorous, and Big Business) ».
C’est un détournement des objets de consommation, une mise en valeurs de leur esthétique en récupérant les codes publicitaires et populaires.

Il s’agit donc d’un collage de 26 X 24,8 cm représentant un intérieur de maison.

Un plafond astral, quelques produits de consommation électroménagers magnétophone, TV, aspirateur associé à des éléments picturaux  (comics, affiche publicitaire de Ford), une fenêtre qui s’ouvre sur une image NetB du premier film parlant et enfin un homme (culturiste) et une femme (pin up) en NetB aussi pour donner vie à cet intérieur. Gros clins d’œil sur la sucette et la conserve sur la table de salon, nous y reviendrons…
Nous sommes en 1956, il s’agit de l’œuvre fondatrice du Pop art, populaire art dont le nom proviendrait de la sucette de ce collage : Lollypop en anglais. Elle fut créée pour le catalogue de l’exposition « This is tomorow » à Londres. Elle est actuellement au musée Kunsthalle de Tübingen (Allemagne).

Photomontage un procédé nouveau ? Pour rappel la première photo de Niepce conservée (Point de vue du Gras) date de 1827 et le premier assemblage de photo date de …   1857 réalisé par Rejlander d’après une peinture de Thomas Couture. 30 négatifs impressionnés successivement et fondus par masquage.
En France à la même époque, Gustave Le Gray, avec ces marines réalisent des montages avec des ciels et des mers aux temps de pose différents. L’ancêtre du HDR. Le même ciel pour 2 images.

Début du XXème siècle, presse, publicité et artistes (Dada, surréalisme, constructivisme russe) vont alors s’emparer de cette technique comme un nouveau moyen d’expression.
La presse pour des besoins de mise en page découpe, détoure, resserre.
Pour la  publicité, cela permet de mettre en avant les qualités du produit, de créer des affiches politiques anti nazi ou anti Franco par exemple.

Photographe inconnu : L’Aurore (journal)

Recadrage et retouches (L’aurore)

Publicité Hotchkiss

Photomontage de J. Heartfield

 

 

 

 

 

 

 

Le Dadaïsme profite de cette expression pour déverrouiller tous les codes de l’art à l’image de la Joconde de M.Duchamp (LHOOQ = Elle a chaud au cul) affublée d’une moustache et d’un bouc.

Avec cette image,  beaucoup de codes picturaux sont mis à mal : Un format carré pour une composition pas réellement centrée, les perspectives sont à peine respectées, mélange de couleur et NetB. Un peu comme si aucune limite ne devait brider la création, en opposition totale à l’expressionisme abstrait de l’époque.
Pas vraiment de lignes directrices, la seule notion de perspective, de profondeur de champs vient de l’axe de cette pièce vers un angle. Paradoxalement, s’il s’agit d’un intérieur et nous n’avons pas la moindre sensation d’enfermement. La composition est ouverte sur les 4 bords du cadre : Le plafond avec la lune, l’escalier et la fenêtre du bord gauche et les 2 canapés tronqués pour les deux derniers.
Le décor est un salon contemporain tiré d’une publicité de « Ladies home journal ». Elle vantait : « Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing? Open planning of course – and a bold use of color. » (« Qu’est-ce qui rend exactement les maisons d’aujourd’hui si différentes, si séduisantes ? Un aménagement ouvert, bien sûr — et un usage audacieux de la couleur. »).
Ce qui donna le titre de l’œuvre pour R. Hamilton.
La lune provient d’une pub de Life magazine, le tapis est un agrandissement d’une photo de foule sur une plage….
Sur le mur du fond le logo de Ford (en abat jour) qui vantait sa réussite via son taylorisme, une couverture de « young romance » en référence aux comics et une allusion à un coreligionnaire du pop art : Roy LICHTENSTEIN enfin,  un portrait  de J. Ruskin écrivain et critique d’art.
Tout un ensemble d’objets électroménagers qui sont au balbutiement de l’équipement des maisons mais que tout le monde va bientôt s’approprier : l’aspirateur Hoover (constellation) provenant du même journal que l’intérieur et le magnétophone Boosey and Hawkes. Par la fenêtre on peut voir une photo du cinéma qui a révélé le premier film parlant en 1927 : Chanteur de jazz.
Deux clins d’œil : l’un au »corned beef » sur la table du salon de la marque Ham comme la première syllabe de l’auteur et au périodique « The journal of Commerce » sur le canapé du premier plan.
Reste les 2 personnages. Irvin Koszewski, Mr. LA 1953, body builder très connu pour ses 10 abdominaux… et une pin up bronzée à souhait. Un culte de la beauté, de l’apparence que ridiculise l’auteur en les gadgétisant par un sèche-cheveux pour la dame et par une sucette extrêmement bien placée pour le monsieur. D’apparence fouillie cette image est en fait beaucoup plus structurée. On y entre par ce personnage masculin que l’on associe rapidement à la pin up, deux formes humaines en NetB pour s’évader par la fenêtre avec le cinéma lui aussi en monochrome réalisant ainsi un triangle. On peut alors superposer les triangles des appareils électroménagers, des canapés nous faisant tourner dans cette image à la recherche de plus de clins d’œil.
Globalement les proportions sont conservées sauf pour cet escalier aussi élevé que la lampe du fond.
Les teintes plutôt chaudes (jaune et brun) comme pour contraster un vieillissement avec ce besoin de paraitre, de conformité que l’auteur dénonce dans son œuvre. Faire comme tout le monde ne préserve pas de l’effet du temps.
On ressent assez bien l’envie de casser tous ces codes en vigueur par l’association de couleur et de NetB, par l’usage de fausses proportions, par l’ensemble des ouvertures possible et par l’utilisation même du photomontage.
Un petit peu comme si le message était de regarder ailleurs, de voir d’autres perspectives de changer la réalité ou d’en trouver de meilleures…

 

Histoire du pop Art : http://wergstantus.free.fr/popart/page1.html
Histoire du photomontage : https://www.widewalls.ch/photomontage-art/
Site de Cal Redback  photo monteurs de portrait ; https://500px.com/calredback
Site de Thomas Barbey, photo monteur en argentique ; https://thomasbarbey.com/
Explications de la technique de Rejlander : https://www.youtube.com/watch?v=gPGLTtINJBU

 

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