Histoire d'une photo

HDP # 15 : Emmanuelle de J. JAECKIN ou l’affiche de cinéma

 

Emmanuelle de Just Jaeckin : L’Affiche de cinéma.

 

Des centaines de millions de spectateurs dans le monde, 9 Millions en France, pas moins de 13 ans à l’affiche d’un cinéma des Champs Elysées (passage obligé de tous les asiatiques en visite à Paris, au même titre que la Tour Eiffel). Une affiche que tout le monde connait et que tout adolescent pubère de l’époque (26 juin 1974) gardera en souvenir indélébile. Même le fauteuil en osier est resté dans la postérité comme le fauteuil « Emmanuelle », c’est dire. Associée à la scène dans l’avion, cette affiche passe pour un ouragan dans l’échelle des fantasmes. Un film d’un nouveau genre qui veut se démarquer du porno. C’est le premier film érotique français qui passe une censure pompidolienne jusque là très stricte à la faveur de l’élection d’un jeune Président de la République : Valery Giscard d’Estaing et de son Ministre de la Culture Michel Guy.

Une affiche de cinéma, ca sert à quoi ?

  1. J.-M. Monnier, président d’honneur de la section des affichistes de cinéma en 1946 dit en parlant des affiches dessinées de l’époque : « C’est une tâche très difficile que de concrétiser sur une feuille de quelques mètres carrés le sujet d’un film qui dure une heure et demie et qui est souvent tiré d’un roman de trois cents pages. Cette tâche est rendue plus ardue encore par les servitudes innombrables qui paralysent l’inspiration de l’artiste. L’affiche de cinéma doit être populaire, c’est-à-dire compréhensible par tous, suggestive par une synthèse simplifiée du sujet. Par un choix heureux des coloris, elle doit être agréable à l’œil et former autant que possible une tache qui attire le regard. L’artiste doit à tout prix respecter la ressemblance frappante des acteurs connus, dont la présence dans le film est un atout commercial de premier ordre, et éviter les formes trop primaires ou un style trop abstrait qui ne serait compris que d’une minorité artistique. Le cinéma est un art populaire, le dessinateur doit s’y conformer. »

Autant dire que celle ci est une réussite.
On y voit une jeune femme, sa poitrine dénudée, des jupons en dentelle recouvrant le bas de son corps, assise sur un fauteuil en rotin constitué d’un haut dossier. Elle joue avec un collier de perle. Le fond est blanc, écrit en noir, un prénom en calligraphie tout en rondeur occupe quasi tout le tiers supérieur de cette affiche. Sur la partie gauche une référence à un livre érotique à ne pas mettre entre toutes les mains…
En terme de communication, nous avons là une accroche efficace.
Just Jaeckin est un photographe français connu. Il a fait la guerre d’Algérie en tant que reporter avec F. Weber, J. Seguala et P. Labro.  Travaillant pour Vogue, Marie Claire, Paris Match ou Harper’s Bazaar, il  shoote les stars plus ou moins nues. (Birkin, BB etc.…) et participe à la rédaction de « Mademoiselle, âge tendre » un salut les copains féminin. A son actif quelques films publicitaires dont la première pub pour ….les collants Dim en 1968. Emmanuelle est son premier long métrage. C’est un producteur inconnu qui lui propose ce projet : Yves Rousset Rouard le même qui produira « les Bronzés » mais c’est surtout J-louis Richard (scénariste de F. Truffaud) qui ficèle  le scenario et le convainc. Un budget ultra limité et aucune actrice française qui accepte le rôle. Un ami lui parle d’un casting en Hollande, il raconte :
 » J’ai vu une quantité de filles très belles, puis je vois passer cette jeune femme aux cheveux courts et blonds. J’en suis tout de suite tombé cinématographiquement amoureux. Et je me suis dit : « C’est Emmanuelle ! » Or, elle n’avait rien à voir avec le casting. Elle passait complètement par hasard car elle travaillait là. En tant que secrétaire, je crois. »
Sylvia Kristel, c’est son nom, mannequin aussi, est habituée des shootings et en voyant les photos de Jaeckin répondra :  » « Quoi qu’il arrive, ce sera beau. »
Il s’agit donc d’une affiche de cinéma en format portrait tiré d’une des scènes du film

afin de respecter le budget. Pour les besoins de l’affiche, l’arrière plan  a été effacé (un vrai détourage sans PS) pour placer l’héroïne sur un fond neutre.
Le point de vue est frontal avec une lumière très douce qui provient de la gauche  et du haut.
Le personnage et son siège sont sur une ligne de force  verticale, avec les yeux sur un point fort. Le ton orangé ressort très bien sur ce fond blanc. Du très classique qui libère un espace pour évoquer le livre  (sur l’autre point fort) que tout le monde lit à l’abri des regards. L’absence totale de décor laisse le spectateur dans son imaginaire.
On suppose que le prénom écrit en noir est le prénom du personnage, en pied de page les renseignements du film et, dans la marge gauche la censure de l’âge.

Difficile de parler de profondeur de champs et de plans dans ce « montage », néanmoins on peut observer sur l’attitude deux triangles tout en contraste.
Le premier concerne les bras, révélant un haut de corps dénudé (on devine un bronzage pas du tout libertin lui), et le deuxième formé par les jambes, habillé et dans l’ombre comme pour signifier le coté érotique du film. Par rapport à l’image réelle cette ombre est accentuée et sur des tons verts (aucune explication à ce phénomène).
Elle regarde la caméra tout en jouant de son collier invitant le spectateur à s’interroger…
Est-ce juste cette interrogation qui fait son succès. Ce coté libertin qui touche intimement le fantasme de la gent masculine  ou bien le coté émancipation sexuelle de la femme au sein de la société ultra conservatrice de l’époque expliquent sans doute ce phénomène. La législation de l’époque avec la  pilule dans les années 60, l’égalité homme femme en 1972 et la  loi Weil en 75 encourageait une « révolution féminine » et une évolution sociétale majeure.
Un mélange de sulfureux et d’idéologie pour expliquer un tel typhon pourquoi pas…

A propos d’affiches de cinéma et pour les amateurs relativement avertis,  je vous laisse découvrir le projet de Peter Majarich qui pendant 1 an, a retravaillé une affiche de cinéma par jour. Il fait référence à une scène du film ou bien ce que lui inspire le titre pour ré inventer l’accroche. Il y a quelques pépites…

http://amovieposteraday.tumblr.com/

Enfin deux articles qui analysent les mécanismes d’une affiche de cinéma, les codes et les « normes » nécessaire à une bonne publicité du film…

https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/vous-avez-l-impression-que-toutes-les-affiches-de-films-se-ressemblent-c-est-normal-elles-sont-faites-pour-ca_3045267.html

https://testconso.typepad.com/semiologie/smiologie_affiches_de_cinma/

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