Rhein II d’Andreas Gursky : Le marché de la photo d’art
3.1 Millions d’euro chez Christie’s à New York. C’est le prix d’acquisition de cette photo par un amateur (en fait il s’agirait du Directeur du Musée de Philadelphie) dans une vente aux enchères en Novembre 2011. Quel photographe ne rêve pas d’un coup identique ? Une transaction, du fait de son prix, qui fait basculer la photo dans les Arts Majeurs comme la peinture ou la sculpture ? A cette époque cela représentait le montant le plus élevé. Depuis, Peter Lik en 2014 a fait mieux : 5.2 millions d’euros pour « Phantom », une image NetB d’Antelope Canyon. Fait remarquable, lors de cette vente, Lik aurait vendu 2 autres photos (Illusion et Eternal Moods) au même acheteur pour respectivement 2.4 et 1.1 millions de dollars. Réalité vraie ou création d’un marché fictif auto entretenu ?
Ainsi dans le top 20 des meilleures ventes on retrouve : Lik, Gursky, C. Sherman, J. Wall, A. Stieglitz et E. Weston deux fois, Steichen, Medvedev, Prince, Avedon, Abosh, Atger et Mapplethorpe une seule fois. 6 images sont postérieures aux années 2000, 6 sont réalisées entre 1980 et 2000, 5 sont antérieures à 1980 enfin 3 sont du XIX siècle. Autant dire que se sont les artistes et les images récentes qui sont à l’honneur.
Que représente donc cette photo, Rhein II ? Il s’agit de la représentation conceptualisée, en couleur, d’un fleuve (le Rhin) pris dans l’axe horizontal, bordé par deux bandes herbeuses dont la plus proche de nous est scindée par une piste cyclable. C est le lieu où son auteur fait son footing.
Le moins que l’on puisse dire est que ce paysage abstrait ne donne pas une forte impression. Son prix lui par contre, laisse rêveur… L’ensemble occupe la moitié inférieure du cadre, l’autre moitié évoque un ciel assez gris. Au final 3 bandes grises (de la plus large à la moins large du haut vers le bas) qui s’alternent avec 3 bandes vertes.
La photo est collée sur plexiglas et mesure 4 m sur 2 m, plutôt panoramique donc. Il en existe 6 exemplaires, celui ci est le plus grand. Certains sont exposés à New York (MOMA), Londres (Tate Modern) ou Munich (Pinakothek der Modern).
Le point de vue est en discrète plongée et la profondeur de champs est totale.
La lumière semble de face comme un contre jour lorsqu’on regarde la rive la plus proche et en même temps être relativement haute, écrasant seulement la rive la plus éloignée. En effet la présence de l’escalier sur la gauche révèle un relief qui n’est pas ombré de façon identique…
La composition est ouverte sur les 4 contours, l’axe de l’image est tout horizontal et rectiligne y compris dans la texture des nuages. L’absence d’un quelconque relief (arbre, habitation ou autre) contribue à accentuer cet axe. Si le choix du moitié-moitié est intentionnel il n’est pas pour autant imposé par un reflet. Nous avons 50 % occupé par le ciel et 50 % restants dû au fleuve allant à l’encontre de la règle des tiers.
Les trois bandes grises sont de taille et de texture différentes, cotonneuse pour le ciel, très en relief et très contrasté avec le clapotis pour le fleuve et lisse pour la « piste cyclable » augmentant progressivement la nuance de gris. A l’inverse les bandes de « gazon » s’éclaircissent en s’éloignant.
Totalement bitonale vert et gris on peut se poser la question de ce caillou blanc dans la première bande verte qui attire un peu le regard…
On comprend facilement que cette image est numérisée, retravaillée, ne correspond pas du tout à la réalité. Voici une image plus réelle. Je n’ai pas retrouvé de renseignements concernant sa création sauf le fait qu’une usine aurait été effacée sur la rive. A. Gursky prépare ces images bien à l’avance en voyant grand et très minutieux. Dans la taille on doit pouvoir voir le détail insignifiant. Il n’hésite pas à multiplier les photos assemblant aussi bien le panorama que le focus stacking, jouant du « copier coller » pour mieux assembler tout en jeu d’ombres et de lumières. C’est sa marque de fabrique.
Le Rhin n’est, dans ce cas, identifiable que par le titre. Il correspond à l’image d’Epinal, mais dans cette conception minimaliste il laisse le spectateur imaginer « Son » Rhin. La fidélité à la réalité n’est alors plus le fait de la Photographie mais dans l’utilisation des lignes et couleurs la photo se rapproche de la peinture…et échappe totalement à la réalité. Quel paradoxe !
Simple, efficace, tout est dit sans rien montrer. Le medium photo en est tout chamboulé.
Personnellement je n’aurai pas payé une telle somme pour cette représentation d’un fleuve. Ce qui m’interpelle c’est cela. Comment cet auteur en est arrivé à cette côte ? Certes les allemands sont très forts pour vendre leurs artistes et j’ai lu qu’ils organisent savamment les rares ventes de Gursky de telle sorte que chaque œuvre soit disputée férocement.
Quid alors de ce fameux marché de la photo d’art ?
Si aux Etats Unis le marché a démarré plus tôt, en France c’est en Novembre 1997que Rick Gadella crée le salon Paris Photo et regroupe chaque année au Carrousel du Louvres Galeristes et collectionneurs pour une grand messe de la Photographie.
Grands formats et nombre réduit des images (le nec plus ultra : bruler ou supprimer le « négatif » après la vente) sont les deux facteurs de montée des prix. Ceci explique sans doute le montant de Rhein II. L’aspect vintage (au sens variation de l’image en fonction des techniques pour un même artiste) et les tirages post mortem sont aussi des critères pris en compte.
En France, la réglementation considère « comme œuvres d’art les photographies prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de 30 exemplaires, tous formats et supports confondus. Toute épreuve posthume doit être indiquée en tant que telle au dos de façon lisible ».
En fonction de l’ancienneté et de la rareté les spécialistes distinguent :
La période de 1839 à 1918, avec comme principaux acteurs Atget, Le Gray, Nadar, Niepce,
L’entre deux guerres : Boubat, Brasaï, Kertész, Lartigue, Man Ray, Ronis, Steichen, Stieglitz,
les modernistes jusqu’en 1980 : Cartier-Bresson, Doisneau, Molinier, Riboud, Penn, Weston,
Enfin les contemporains : avec Goldin, Gursky, LaChapelle, Mapplethorpe, Prince, Sherman, Sugimoto etc.…
Les journalistes et portraitistes célèbres sont dans une classe à part.
Toutes les ventes s’organisent dans les galeries ou par enchères. L’apparition de nouveaux millionnaires favorisent l’éclosion de ce business. Pourtant les ventes de photos ne représentent seulement que 1 % des ventes totales d’objets d’art. Les USA, avec 54 % des parts de marché, la GB et ses 26 % caracolent en tête devant la France et ses 9 %. Ce marché est en progression phénoménale : 48 % de 2000 à 2015.
Par exemple, une photographie iconique de Robert Mapplethorpe « Calla Lily » de 1988 était vendue 8.500 euros en 1996. Cette même image atteignait 145.500 euros en 2014. Actuellement, W. Ronis, H. Cartier Bresson, R. Doisneau se vendent entre 1500-3000 € et Brassai, Manray, Avedon, Ewitt démarrent à partir de 5000 €. En 2015, la moitié des œuvres sont adjugées en dessous de 1560 Dollars.
Internet et sa formidable ouverture au monde favorise cet engouement. Ce n’est pas pour rien que Yellowcorner créée en 2006 fait preuve d’une réussite étonnante (+50% de chiffre d’affaire) en rééditant et encadrant des œuvres photographiques vendues par internet en plus de grandes chaines de magasins et galeries. Cela dit cette entreprise adopte une politique ’inverse du marché en multipliant les rééditions qui seront vendues à bas coût tout en misant sur la découverte de jeunes talents.
Reste qu’en termes d’art seule l’émotion a un prix. L’un et l’autre sont ultra personnels, relevant presque de l’intime. Le plaisir de regarder une œuvre chez soi, quotidiennement sans jamais se lasser confine au pur hédonisme. Le même probablement que celui d’appuyer sur un déclencheur, de jouer avec les curseurs et de partager cette image avec d’autres.
Quelques photos d’A. Gursky
https://www.artefields.net/andreas-gursky-le-vertige-du-reel
Liste des 20 photos les plus chères du monde
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_photographies_les_plus_ch%C3%A8res
Article de C. Caujolle sur le marché de l’art.
https://www.persee.fr/doc/cllum_1763-4261_2010_num_7_1_937
Site de Viviane Esders experte en art photographique.
http://viviane-esders.com/
Rapport du marché de l’art en 2015
Artprice : rapport annuel exclusif sur le marché mondial de la photographie pour Paris Photo