Segragated water fontains d’Elliott ERWITT : L’instantané
Images présentant deux fontaines à eau, l’une destinée aux hommes blancs, et l’autre aux hommes de couleur. Bien identifiées par un écriteau. Un homme de couleur s’abreuve dans cette dernière tout en regardant en direction de l’autre fontaine. Ces 2 fontaines ont la même alimentation mais sont bien différentes. La fontaine des white est blanche immaculée, grande, réfrigérée, plus haute que la fontaine des colored plutôt sale, usée et … à température ambiante.
Il s’agit là d’une illustration de la ségrégation raciale aux USA qui fait suite à une loi dite « Jim CROW » dans les états du Sud accrochés encore à l’esclavage. Photo prise en 1950 en Caroline du Nord par Elliott ERWITT avec son leica fétiche. Ce photographe a eu comme mentor Capa et a intégré en 1953 l’agence Magnum qu’il n’a toujours pas quittée.
Cette image sera d’ailleurs publiée à cette époque seulement. Il est comme HCB et Doisneau, un chantre de l’instantané, se promenant en permanence avec son appareil photo à l’affut d’une scène qui « doit amener à une conversation » plutôt centré sur l’humain… (Ou les chiens).
Il est doté d’un œil très affuté, surtout quand on situe cette prise de vue au tout début de sa carrière.
Cette image sera emblématique des lobbies anti-ségrégation et illustrera cette période dans beaucoup de manuels scolaires mêmes étrangers. D’après « The Telegraph » en 2009 il s’agit d’une des 10 photos qui a changé le monde.
En NetB, de format panoramique elle présente un léger grain (pour mémoire Erwitt continue encore de développer ces photos même s’il s’est un peu mis au numérique). Le personnage de droite lui donne toute sa force. (J’ai trouvé la même image sans le bonhomme et elle n’a pas la même puissance Cf. plus bas). La lecture peut aussi bien démarrer par le lavabo de gauche plus clair que par cet homme qui donne l’impression de rentrer dans le cadre au dernier moment mais aussi par les écritures des panneaux. La prise de vue est en légère plongée, on sent le photographe debout qui agit à l’instinct. La lumière plutôt blafarde (ombre douce) provient du plafond et contribue à donner une ambiance un peu terne et glauque.
C’est une composition fermée, le pilier droit étant le seul relief. Le tuyau d’alimentation d’eau étant la seule ligne de force qui relie les 2 lavabos, les 2 mondes. Mais une autre ligne de force plus discrète mais oh combien plus forte réside dans la direction du regard du personnage vers ce lavabo plus moderne et inaccessible. Il y a comme un triangle dynamique entre les deux lavabos et la tête ou bien un rectangle avec les 2 plaques et les 2 lavabos nous faisant tourner et rester sur cette image
Le plan est unique et la profondeur de champs totale sur ce plan. On peut remarquer néanmoins une certaine « penchitude » ainsi qu’un flou global pas très académique. Vive l’instantané…
Cela semble évident que cette image va amener à une conversation. Presque 100 ans après la guerre de Sécession, la société américaine reste figée et il faudra encore plus d’un siècle pour voir un Président afro-américain.
Erwitt dit : « En photographie, penser ne sert à rien il faut surtout voir ». Avec cette photo iconique la vision a créé la pensée. L’humour que l’on peut avoir de cette différenciation de lavabos avec une même alimentation n’empêche aucunement l’ironie, l’absurdité de la situation.
Fait marquant, il ne vient pas à l’idée de cet homme de boire dans l’autre fontaine. Un peu comme si l’envie et le respect des règles se partageait une entente tacite qui un jour se déséquilibrera. C’est sans doute pour cela qu’elle deviendra emblématique d’une cause.
Une carrière très longue, un regard espiègle et provocateur, observateur de la comédie humaine mais en même temps très pudique ont fait de lui un photographe parfaitement sincère au point que cela transparaît dans tous ces clichés.
Quelques exemples :
http://www.polkagalerie.com/fr/elliott-erwitt-travaux-dogs.htm
https://pro.magnumphotos.com/C.aspx?VP3=CMS3&VF=MAGO31_10_VForm&ERID=24KL53Z1OG
Jean Luc Gleizes