Arctic treasure de Serguey GORHKOV : La photographie animalière
Iles Wrangel en juin, NE de la Sibérie. Il fait encore frais, 0° environ (en Aout on atteindra 2 ° et -25 en Février) la neige n’est pas tout à fait fondue et les oies des neiges (Anser caerulescens) viennent de pondre leurs œufs. L’ile représente l’aire de nidification de la seule population asiatique de cet oiseau palmipède. C’est donc un  mets de choix en ces temps de disette pour certains prédateurs. Un trésor… un trésor arctique. Il y va de la survie d’un animal…
Cette image saisissante de S. Gorhkov a fait partie des finalistes du concours Wildlife of the year 2017. On y voit, en couleur,  un loup de face, tenant dans sa gueule un œuf. Seuls ces yeux sont de couleur chaude dans cette ambiance que l’on devine, polaire.
On imagine assez facilement les conditions de prises de vue. Mais combien d’heures d’affut, de patience faut il pour réaliser une photo exploitable ? Quelle résistance aux intempéries faut-il endurer pour un « simple cliché » ? Que d’ingéniosité faut-il développer pour se cacher, ne pas déranger ? Que de connaissances à avoir, que d’observations minutieuses pour être là au bon moment… Mais que de plaisir au final en récompense de tous ces efforts.
Comme une « grâce divine », cette vocation démarre souvent l’espace d’un instant. Juste le temps d’être émerveillé par une rencontre avec un animal, qui donne alors l’envie de reproduire cette sensation intérieure, magique, de communion totale avec la nature. En France peu en vivent mais leur notoriété est quasi mondiale : V. Munier, L. Baheux, M. Denis-Huot, C. Courteau, A. Pons, D. Delfino entre autres. F. Merlet (en France) et J. Brandenbourg furent les précurseurs dans ce domaine. S. Eszterhas connue pour ses bébés animaux, B. Mates qui représente la nouvelle vague ou P. Cairns pour son coté dénonciation sont les plus connus mondialement. Pour autant, nombreux sont les amateurs à se passionner pour ce sujet. La variété des « modèles », le temps qu’on peut y accorder et la possibilité d’approche plus ou moins facile en font un accès possible pour chaque niveau photographique.
Une vocation qui peut aussi être le fruit d’une passion ancienne et constante pour la nature que la photographie va permettre de partager.
Laurent Baheux :
« Au début de mes voyages en Afrique il y a près de 15 ans, je ne mesurais pas l’ampleur des menaces pesant sur le continent, tellement vaste que je pensais qu’il y avait encore de la place pour tous les animaux. Or, avec l’expansion démographique humaine, l’agriculture, la déforestation et le braconnage, ce n’est pas le cas. Je ne sais pas si les mentalités changent mais j’aimerais que mes images contribuent à modifier notre perception des bêtes. Nous faisons tous partie d’une même famille et vivons sur la même planète. Nous sommes interdépendants. Les dangers qu’encourent la vie sauvage et son extinction engendrent des conséquences dramatiques pour l’espèce humaine. Ce constat vaut pour l’Afrique mais aussi pour l’Europe et notamment la France où la faune et la flore sauvages ont la vie dure… »
Il est clair que le message « politique » n’est pas neutre pour le photographe animalier. Il porte une sorte d’admiration sur cette vie naturelle, sur ces rencontres et en même temps une interpellation du spectateur, voire une dénonciation de ce que l’homme peut faire contre la nature. Cela place ce fameux spectateur dans une ambivalence où il est à la fois témoin, juge et accusé… Peu de domaines photographiques ont cette capacité de mélange dans la finalité.
Une approche livresque absolument nécessaire qui se doit d’être doublée d’une approche physique la plus discrète possible sans quoi le risque est grand… de ne rien shooter mais aussi d’agression….
Du coup, rien n’est écarté pour se camoufler, se rendre discret et ainsi, tutoyer le « naturel » avec le souci du moindre impact naturel.
Artic treasure
Une photo couleur au format carré, prise de vue frontale dans l’axe relativement serrée prise avec un Nikon D300S, F/5, 800 iso, 1/1250, tripod avec un objectif de  600 mm.
La lumière est douce très diffusée probablement de face par rapport au sujet. Nous n’observons quasi aucune ombre mais par contre nous pouvons apercevoir la ligne d’horizon dans les yeux du loup.
Un sujet (l’animal) et un arrière plan qui nous donne une idée du contexte et de la profondeur. On perçoit nettement la neige au niveau de la patte avant et la ligne d’horizon (médiane, par la différence de ton) bien arrière qui sépare la toundra du ciel. Sans énormément de détail on est sur de l’environnement.
La composition est telle que ce loup est formé par 3 triangles pointe en bas (plutôt dynamiques donc) qui de l’arrière vers l’avant deviennent de plus en plus net comme des poupées russes :
-le corps et les pates qui ne se distinguent de l’arrière plan que par les tons de gris
-les oreilles et la tête qui se termine par l’œuf au piqué bien accentué en ton de plusieurs gris
-et enfin les yeux (orange) et le museau en noir quasi bouché qui nous font entrer dans l’image.
Cet œuf blanc « coincé » entre la truffe sombre et le gris des pattes se révèle peu à peu, nous livrant alors le drame de cette image : une rapine alimentaire…Voici quasi la même image de profil. Elle percute beaucoup moins.
S. Gorhkov est un photographe russe né dans un village sibérien. Peu de distraction si ce n’est d’observer la nature et la photographier avec du « matériel de base » sans téléobjectif… le challenge : s’approcher sans se faire repérer. Complètement autodidacte, essais et échecs sont les principales expériences qu’il acquiert avec la nature comme seule enseignante. En même temps il se forge une solide culture livresque en analysant toutes les photos animalières comme source d’inspiration possible tout en considérant que chaque photo est unique dans ce domaine. Que l’évènement ne se reproduira plus, qu’on ne peut pas copier…
Réel désir de faire une photo et patience sont pour lui les deux qualités essentielles de l’animalier. Enfin aller là où personne n’est déjà aller. Son premier vrai projet : les ours du Kamchatka.
Ce coté puriste est sans doute la marque des grands, mais cette course à l’image esthétique et naturelle, bien stimulée par des concours prestigieux provoque quelques dérapages peu honorables. En effet, la finalité de produire une image prends le dessus sur « l’éthique » et il en résulte une véritable maltraitance de l’animal intentionnelle ou par méconnaissance du milieu. Parfois l’image est totalement construite, l’animal étant domestiqué comme ce loup dans le cas du gagnant du prix Wildlife 2009 (pour info ce prix lui a été retiré après vérification). Ou bien cet autre candidat parmi les finalistes qui a utilisé un fourmilier « empaillé »…
La « règle » veut de l’artistique, du vrai biologique (en terme de connaissance), du sauvage, et du naturel. Celle-ci s’avère difficile à examiner devant chaque photo.  Néanmoins, la maltraitance animale ne doit pas être de mise comme ce genre d’images qui pour faire le buzz repose sur des congélations, ou autres tortures.
Pour info deux autres polémiques, plus humaines celles-ci, mais qui posent un problème éthique ou juridique.
Celle d’A. Mafart, reconverti en photographe animalier que son passé d’espion français rattrape (du fait de Greenpeace) alors qu’il est en passe de remporter le prix 2016 du Musée d’histoire naturelle de Londres avec son image attendrissante « la main d’une mère ». Rainbow warrior, époux Turenge cela vous rappelle quelque chose ?  C’était l’un des deux agents impliqués
Coté croustillant, en 2014, une photo d’Alain Mafart représentant des zèbres et des girafes en Namibie avait déjà été remarquée, au point d’être publiée dans le calendrier annuel de Greenpeace International qui s’en ait aperçu trop tard après l’impression.
Celle de D. Slater qui part en Indonésie shooter des espèces animales en voie d’extinction comme le macaque noir. En toute fin d’expédition il arrive à les rencontrer et parvient à se faire accepter du groupe. Il se faite chaparder son APN et le singe fait plusieurs « selfies » dont cette image qui lui remboursera tous ses frais. Une association californienne de protection des animaux l’a poursuivi arguant du fait qu’il ne disposait pas du droit d’auteur car c’est le singe qui a pris la photo. Au total, 6 ans de bataille juridique pour déterminer si le singe peut avoir des droits d’auteur et la ruine du photographe au final. Il ne fait plus de photo depuis.
Non sans humour, l’égalité la plus totale en terme de « torture, de droits et devoirs ». seul le coté nature laisse à désirer.
Je vous renvois à ce blog qui interpelle sur l’éhique du photographe animalier.
https://posenature.fr/ethique-du-photographe/
http://www.faunesauvage.fr/fsphotographe/sergey-gorshkov
https://www.lemonde.fr/arts/article/2016/12/14/du-rainbow-warrior-aux-macaques-du-japon-les-deux-vies-d-un-ex-espion_5048597_1655012.html
Comment le fameux selfie d’un singe a ruiné la vie d’un photographe